Tentative d'explication de la voie de l'amour, plutôt destinée aux adeptes de la voie de l'éveil à la non-dualité. La conscience est cela qui voit. Qui enregistre tout le reste. Ces mots par exemple. La conscience est donc difficile à définir, car elle n'est rien de tout ce qu'elle enregistre. Ni couleur, ni forme, ni temps, ni lieu. Que reste t-il pour la définir ? La conscience. Donc, c'est difficile. D'un autre côté, quoi de plus intime ? Elle est évidente : elle se connaît elle-même par elle-même. Voilà pourquoi, dans certaine traditions, on l'appelle "le soi-même", "soi-même" ou le Soi. D'ordinaire, la conscience s'oublie et n'est que conscience des objets. Conscience de ces mots, par exemple. Elle est donc toujours conscience, sans quoi il n'y aurait pas d'objet. Les choses n'ont aucune existence indépendante de la conscience. Quand on dit : "Cette tasse existe même quand je n'en ai pas conscience", cela veut dire "J'ai conscience que cette tasse existe même quand mes yeux ne peuvent voir cette tasse". Mais cette représentation dépend elle-même de la conscience... même quand la conscience n'en a pas conscience. D'ordinaire, la conscience s'oublie ainsi. Toujours présente, elle a conscience de tout, sauf d'elle-même, alors que rien n'est possible sans elle. C'est le paradoxe de la conscience. Pourquoi ? parce qu'elle est transparente. C'est-à-dire qu'elle est toujours présente, mais sans forme, sans caractéristique, même abstraite. Car il est des choses qui n'ont pas de forme, et qui sont pourtant des choses, des objets. L'infini, l'être ou l'espace, par exemple. Mais la conscience n'est pas ainsi. Son seul trait propre, c'est justement la conscience. Elle est singulière, incomparable. Evidemment, on peut la comparer, mais ça ne définit pas son essence, ce qu'elle a de propre. Bref, la conscience s'oublie. Et parfois, elle se réveille à elle-même. C'est l'éveil. Elle réalise qu'elle n'est pas une chose, mais la source et la substance de tout. D'abord elle s'éveille à sa transcendance, le fait qu'elle n'est pas une chose. Ensuite elle réalise qu'elle est la substance des choses, de même que l'océan, sans se réduire à une vague, est la substance des vagues. C'est l'éveil à la non-dualité. Or, on peut parler exactement ainsi à propos du désir. Il y a le désir ; et il y a les objets du désir. Le désir ne se réduit pas à l'un de ses objets. Ce sont des accidents de ce désir. C'est d'ailleurs pourquoi le désir renaît sans cesse. D'ordinaire, le désir s'oublie dans les objets du désir. Je veux une moto, un chat, et dans cet élan même, l'élan s'oublie. Il ne tend que vers la moto, le chat. Pourtant, l'objet désiré dépend du désir. Il n'est objet de désir que par et dans ce désir. Donc, comme pour la conscience, l'objet du désir existe seulement dans le désir lui-même. Et, de même que tous les objets sont des manifestations de la conscience, de même tous les objets du désir sont des objets du désir. Si donc le désir s'éveille à soi-même, il réalise qu'il est au-delà de tout objet, concret ou abstrait. Il réalise que l'objet n'est pas la source, ni la fin du désir. Ce que montre, du reste, l'expérience banale de l'épuisement apparent du désir alors que son objet demeure : la moto est toujours là, mais il n'y a plus de désir pour la moto. En réalité, le désir est toujours le même, infini, égal, inépuisable. C'est seulement l'objet du désir qui change, objet créé par le désir. Plus de désir pour la moto, la moto disparaît. Autre chose apparaît. Donc le désir s'oublie dans ses objets. Puis il s'éveil à soi, il se retourne, devient alors désir de soi, désir infini donc. Et aussi, désir de tous les objets simultanément. Désir infini de l'infini des possibles. Dans certaines traditions, on appelle ceci "l'amour". Mais n'est-il pas alors évident que "désir" et "conscience" sont deux mots pour une seule et même (non)chose ? Je ne voudrais pas abuser de vos forces, cher lecteur, chère lectrice. Je n'irais donc pas davantage dans les détails de la démonstration, et je laisse ces mots à votre intuition... Tout ceci pour dire que la conscience est désir. Et que l'éveil est éveil de la conscience à elle-même, de soi à soi-même, par delà tout objet, toute limite. Mais l'éveil est aussi réveil du désir au désir même, de soi à soi-même, par delà tout objet désiré, par-delà toute limite. C'est cela, le tantra. Dans un désir, retourner à la source du désir, le désir pur, sans limites. Et, comme toute émotion (y-compris la léthargie, qui est une émotion) est désir, toute émotion est voie de l'éveil. Telle est l'alchimie tantrique. Et, comme cette remontée de l'émotion à l'émotion pure est aussi la voie dans toutes les voies de l'amour divin, dans toutes les religions et cultures, la voie de l'amour divin est aussi cette voie de l'éveil. Par exemple, dans le christianisme, l'accent est mis sur la souffrance. Mais c'est cette même voie qui va du désir qui s'oublie dans ces objets, jusqu'au désir pur, au désir infini, à l'amour. Donc la voie "directe" de la conscience et la voie de l'amour, ainsi comprise, c'est la même voie, en plus de tendre bien sûr vers la même fin. Quand le désir, par-delà son objet circonstanciel, se ressaisi soi-même, c'est l'éveil. Et ça change tout !
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