« Il y a un aspect par lequel cette science toute moderne de la nature représente une sorte d’inversion ou de contrefaçon de cette notion de « catharsis », ou purification, qui, dans le monde traditionnel, fut étendue du domaine moral et rituel au domaine intellectuel, en vue d’une ascèse intellectuelle qui, en surmontant les perceptions fournies par les sens animaux et plus ou moins mêlées aux réactions du moi, devait acheminer vers une connaissance supérieure, vers la vraie connaissance. Il y a eu, en effet, quelque chose de ce genre dans la récente physique algébrisée. En se construisant, celle-ci s’est graduellement libérée de toutes les données immédiates de l’expérience sensible et du sens commun et, en outre, de tout ce que l’imagination pouvait offrir comme appui. Comme on l’a dit, toutes les notions courantes d’espace, de temps, de mouvement, de causalité, tombent l’une après l’autre. Tout ce que peut suggérer la relation directe et vivante qui unit l’observateur aux choses observées devient irréel, insignifiant et négligeable. C’est donc comme une catharsis qui consume tous les résidus de sensibilité, mais pour mener, non à un monde supérieur, au « monde intelligible » ou « monde des idées », comme dans les antiques écoles de sagesse, mais au règne de la pure pensée mathématique, du nombre, de la quantité indifférente au règne de la qualité, au règne de la forme signifiante et des forces vivantes : un monde spectral et cabalistique, extrême exaspération de l’intellect abstrait, où il ne s’agit plus ni des choses ni des phénomènes, mais presque de leurs ombres ramenées à un commun dénominateur, gris et indifférent. On peut donc bien parler d’une contrefaçon du processus d’élévation de l’esprit au-delà de l’expérience sensible humaine, processus qui, dans le monde traditionnel, avait pour résultat non la destruction, mais l’intégration des évidences de cette expérience et l’enrichissement de la perception ordinaire et concrète des phénomènes de la nature grâce à celle de leur aspect symbolique et « intelligible ». Ainsi, la situation se présente, en fait, de la façon suivante. La science moderne a, d’une part, conduit à une prodigieuse extension quantitative des « connaissances » relatives à des phénomènes appartenant à des domaines qui, autrefois, étaient restés inexplorés ou avaient été négligés, mais, d’autre part, elle n’a pas fait pénétrer l’homme plus à fond dans la réalité, elle l’en a même éloigné, rendu plus étranger encore, et ce que la nature serait « véritablement », d’après elle, échappe à toute intuition concrète. De ce dernier point de vue, la science actuelle n’offre aucun avantage sur la science « matérialiste » d’hier : avec les atomes d’hier et la conception mécaniste de l’univers on pouvait encore se représenter quelque chose (ne fût-ce que d’une façon très primitive) ; avec les entités de la science physico-mathématique actuelle, on ne peut absolument plus rien se représenter ; ce ne sont, comme nous le disions, que des mailles d’un filet fabriqué et perfectionné, non pour connaître de façon concrète, intuitive, vivante, – la seule connaissance qui importait à une humanité non abâtardie – mais bien pour avoir une prise pratique, toujours plus grande, mais toujours extérieure, sur la nature qui, dans sa profondeur, reste fermée à l’homme et plus mystérieuse qu’auparavant. Ses mystères n’ont été que « recouverts », et le regard en a été distrait par les réalisations spectaculaires accomplies dans les domaines techniques et industriels, domaines où il ne s’agit plus de connaître le monde, mais de le transformer dans l’intérêt d’une humanité devenue terrestre, selon le programme que Karl Marx avait déjà explicitement formulé. C’est pourquoi nous répétons que c’est une mystification que de se mettre à parler d’une valeur spirituelle de la science actuelle sous prétexte que celle-ci parle d’énergie au lieu de matière, qu’elle fait voir dans la masse des « irradiations congelées » et presque de la « lumière congelée » et qu’elle envisage des espaces à plus de trois dimensions. En réalité, tout cela n’a d’existence que dans les théories des spécialistes, sous la forme indiquée de pures et abstraites notions mathématiques, notions qui, une fois substituées à celle de la physique précédente, ne changent rien à l’expérience effective que l’homme d’aujourd’hui a du monde. Ce n’est pas pour l’existence réelle, mais pour l’esprit porté aux divagations oiseuses, que ce changement d’hypothèses peut avoir un intérêt. Après qu’on ait dit qu’il n’y a pas de matière, mais de l’énergie, que nous ne vivons pas dans un espace euclidien à trois dimensions, mais dans un espace « courbe » à quatre dimensions et plus, et ainsi de suite, les choses restent les mêmes, mon expérience réelle n’est changée en rien, le sens dernier de ce que je vois – lumière, soleil, feu, mer, ciel, plantes qui fleurissent, êtres qui meurent – le sens dernier de tous les processus, de tous les phénomènes, ne m’est rendu en rien plus transparent. Il n’y a nullement lieu de parler de dépassement, de connaissance profonde, dans un sens spirituel ou véritablement intellectuel. Comme nous l’avons dit, on ne peut parler que d’un élargissement quantitatif de notions concernant de nouveaux secteurs du monde extérieur, chose qui, l’utilité pratique mise à part, ne présente qu’un intérêt de curiosité. À tous les autres points de vue, la science actuelle a pratiquement rendu la réalité plus étrangère et plus lointaine à l’homme d’aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps du matérialisme et de la « physique classique » et, donc, infiniment plus étrangère et lointaine qu’à l’homme appartenant à d’autres civilisations et qu’aux populations sauvages elles-mêmes. C’est un lieu commun de dire que la conception moderne et scientifique du monde a « désacralisé » celui-ci, et que le monde désacralisé du savoir scientifique est devenu un élément existentiel constitutif de l’homme moderne, et cela d’autant plus que celui-ci est plus « civilisé ». Celui qui, depuis le moment où il a été soumis à l’instruction obligatoire, a eu la tête remplie de notions scientifiques « positives », ne peut pas ne pas avoir acquis, pour tout ce qui l’entoure, un regard sans âme qui devient dès lors destructeur. […] De façon générale, ce qui limite dès l’origine la portée de toute la science moderne, dans n’importe lequel de ses possibles développements, c’est qu’elle a eu et garde comme constant et rigide point de départ et comme fondement, le rapport duel, extérieur, du moi au non-moi, propre à la simple connaissance sensorielle. Ce rapport constitue le fond immuable de toutes les constructions de la science moderne ; tous ses instruments de recherche sont autant de prolongements, perfectionnés et affinés à l’extrême, des sens physiques ; ce ne sont pas les instruments d’une connaissance autre, c’est-à-dire de la connaissance vraie. Ainsi, par exemple, quand la science moderne introduit la notion d’une quatrième dimension, cette dimension est toujours pour elle une dimension du monde physique, et non la dimension propre à une perception allant au-delà de l’expérience physique. Étant donné cette limitation fondamentale, érigée en méthode, on peut comprendre que l’envers effectif de tout progrès scientifique et technico-scientifique soit une stagnation, voire un « ensauvagement » intérieur. […] L’homme de science croit s’exclure lui-même, faire parler « les choses » ; il s’intéresse à des lois « objectives », indifférentes à ce que plaît ou ne plaît pas à l’individu et étrangères à la morale. Or, ce sont là des traits du réalisme dont nous avons reconnu la valeur pour l’homme intégré. Dans l’Antiquité, les mathématiques furent d’ailleurs conçues comme une discipline visant à cultiver la clarté intellectuelle. À tout cela, le caractère pratique que nous dénonçons dans la science moderne ne porte pas atteinte ; il concerne l’orientation ou formule de base de toute la science moderne, et non les interventions directes et arbitraires de l’individu au cours de la recherche qui se développe sur cette base et ne tolère pas ces intrusions. L’activité scientifique reflète donc, à sa façon, quelque chose de cette ascèse de l’objectivité active dont nous avons parlé, et offre un sens symbolique analogue à celui que, sur un autre plan, possède aussi la machine. Mais celui qui parvient à une véritable clarté de vision ne peut pas ne pas reconnaître le rôle que jouent, pour l’homme de science, la méthode formelle de la recherche mise à part, les faits irrationnels, et ceci, surtout, dans le choix des hypothèses et des théories interprétatives. Il existe un plan sous-jacent, dont le savant moderne ne se rend pas compte, à l’égard duquel il est passif et dont il subit les influences précises, liées en partie aux forces qui ont donné forme à une civilisation déterminée, à tel ou tel moment d’un cycle : pour nous, celui de la phase terminale et crépusculaire du cycle de l’Occident. La critique que l’on a adressé à la science, en dénonçant la « superstition du fait » (R. Guénon), en montrant que le fait en lui-même n’a guère de sens, et que le facteur décisif est plutôt le système où il est inséré et sur la base duquel il est interprété, permet d’entrevoir toute l’importance de ce plan sous-jacent. Ceci marque aussi les limites qui nuisent à l’idéal de clarté et d’objectivité chez le savant du type moderne. L’histoire secrète et réelle de la science moderne reste encore à écrire. Il peut sembler contradictoire que, dans le chapitre précédent, nous ayons reconnu comme élément valable la distance, le détachement du moi par rapport aux choses et que nous reprochions maintenant à la science moderne d’opposer le Moi au non-Moi, au monde extérieur, à la nature, aux phénomènes, en voyant dans ce dualisme la présupposition fondamentale d’un système d’où la connaissance véritable est exclue. Pour que cette contradiction disparaisse, il suffit de considérer la forme intérieure, l’attitude et les possibilités de l’homme qui se met en face des choses et de la nature, après avoir cessé d’y projeter des sentiments, des contenus subjectifs, des émotions et des fantaisies. C’est parce que l’homme de science moderne, en tant que tel, est un être éteint sur le plan de l’intériorité, c’est parce que ne jouent en lui que les perceptions physiques grossières et l’intellect abstrait et mathématisant, c’est uniquement pour cela que le rapport Moi-non-Moi devient rigide et sans vie, que la « distance » n’agit que d’une façon négative, et que toute la science est assurément capable de « saisir » le monde et de le manipuler, mais non de le comprendre ni d’étendre la connaissance dans un sens qualitatif. Quant à l’homme intégré, sa situation est différente ; la vision de la réalité pure ne comporte pour lui, en principe, aucune limite de ce genre. Le fait que, comme dans une réduction à l’absurde, des traits qui caractérisaient déjà toute la science moderne soient devenus très apparents à la pointe la plus avancée de cette science, et qu’il faille dès lors en arriver à un bilan général négatif, ce fait marque pour lui la fin salutaire d’une équivoque. Il laissera donc de côté, parce qu’il la jugera insignifiante, abstraite, purement pragmatique, dépourvue de tout intérêt, connaissance de ce qui ne vaut pas la peine d’être connu » (O. Spann), toute théorie « scientifique » du monde. Lorsqu’il aura fait, là aussi, table rase, restera la nature, le monde dans son aspect originel. On se trouve ainsi normalement ramené à ce que nous disions à la fin du chapitre précédent. Il faut seulement, dans le présent contexte, pour éliminer complètement l’apparente contradiction que nous venons d’indiquer, faire intervenir une autre idée, celle de la pluridimensionalité de l’expérience : pluridimensionalité bien différente de celle, toute mathématique et cérébrale, des dernières théories physiques. » – Julius Evola, Chevaucher le tigre, ch. III : « Dissolution de la connaissance », § 19 et § 20, pp. 168-172 et 174-177, éd. La Colombe – Éditions du Vieux Colombier, coll. « Littérature et tradition », trad. I. Robinet, 1964. Artículo*: tikiviracocha Más info en frasco@menadelpsicologia.com / Tfno. & WA 607725547 Centro MENADEL (Frasco Martín) Psicología Clínica y Tradicional en Mijas Pueblo #Psicologia #MenadelPsicologia #Clinica #Tradicional #MijasPueblo *No suscribimos necesariamente las opiniones o artículos aquí compartidos. No todo es lo que parece.
« Il y a un aspect par lequel cette science toute moderne de la nature représente une sorte d’inversion ou de contrefaçon de cette notion de « catharsis », ou purification, qui, dans le monde tradi…
- Enlace a artículo -
Más info en frasco@menadelpsicologia.com / Tfno. & WA 607725547 Centro MENADEL (Frasco Martín) Psicología Clínica y Tradicional en Mijas Pueblo #Psicologia #MenadelPsicologia #Clinica #Tradicional #MijasPueblo
*No suscribimos necesariamente las opiniones o artículos aquí compartidos. No todo es lo que parece.
No hay comentarios:
Publicar un comentario